Ma joue brûle un peu.
Je repense à notre première rencontre, à l’occasion de « l’entretien prénatal ». Ils sont venus tous les deux, sans vraiment savoir pourquoi. Consigne leur a été donnée de suivre une préparation à l’accouchement, ils ont docilement pris rendez vous au cabinet le plus proche.
Ils attendent peut-être un exposé docte et pédagogique. Si elle accepte le dialogue, lui semble étonné puis dérangé par le caractère ouvert de l’entretien.
Il se crispe chaque minute un peu plus, furieux de mes relances, prêt à bondir puis finalement bondissant, la main de sa compagne dans la sienne, déterminé à l’extraire de toute urgence. Moi je tente de démêler un peu les fils de leur histoire, de son histoire à elle surtout, écorchée vive, blessures à peine et mal refermées. Elle voudrait dépasser les anciens démons mais ils l’envahissent encore.
Alors forcément mes mots comme mes silences attisent ses larmes.
Soudain il est debout, le poing serré, prêt à taper sur la table, sur le mur… qu’importe pourvu que je cesse de faire pleurer sa belle.
D’un geste, elle le retient ; il s’assied à nouveau, le visage fermé. La discussion se poursuit, équilibre précaire entre tension et apaisement.
Elle sourit, un peu.
Il s’adoucit, un peu.
Nous prenons le temps de sentir les contours utérins, les mouvements doux de leur enfant, ses réponses à l’appel de ses parents.
Ils disent bien vouloir revenir.
Notre rencontre suivante a lieu en petit groupe, avec deux autres couples. Il se montre de nouveau méfiant, fermé. Lors du tour de table où chacun se présente, il annonce sèchement la couleur « Pas envie de causer, je sais même pas ce que je fous là ». Sa colère retenue envahit l’espace. Je souligne qu’il est libre de partir ; partagé entre son désir de fuir et celui de faire plaisir à sa belle, il reste, bras croisés, verrouillés, tassé dans son fauteuil, sans plus prononcer un seul mot.
A ma grande surprise, il est présent la fois suivante.
Et les autres fois aussi.
Je ne sais pas comment mais l’alchimie a pris. L’alchimie du groupe qui se fédère, qui partage ses joies et ses trouilles, qui dépasse les tabous de la bien-pensance et livre un peu de ses secrets aux autres parce que la confiance est là et qu’elle permet cette ouverture.
A chaque séance il s’est révélé de plus en plus prolixe, de plus en plus souriant.
Aujourd’hui, ils sont passés dès la sortie de la maternité me présenter leur bébé, heureux et pressés de me raconter la naissance.
Et puis, spontanément, alors qu’ils étaient sur le départ et qu’il allait empoigner le siège auto, il s’est penché vers moi et m’a claqué deux bises.
Alors oui, ma joue râpée par une barbe mal rasée brûle un peu.
Mais ça me fait plaisir !